Kako Nubukpo, Editions Odile Jacob ; septembre 2019 ; 236 pages ; 22,90 €,
Le professeur Kako Nubukpo est un économiste (avec un tropisme sensible d’historien) et un universitaire de renom. Il a été ministre chargé de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques au Togo (2013-2015).
Ses expériences passées et un certain désenchantement lui ont inspiré son livre récent « L’Urgence africaine ; changeons le modèle de croissance ! », d’une tonalité énergique puisque, dès la première page de l’introduction, on peut lire que l’Afrique est le continent cobaye sur lequel s’abattraient tous les vautours néolibéraux de la planète mais, par ailleurs, est également le continent « mère » sur lequel ne se joue pas moins que le destin du monde « fini » pour reprendre, apparemment, une expression de Paul Valéry.
On serait tenté de craindre que l’auteur hésite alors entre une désespérance furieuse et un espoir insensé, sur une note de fond parfois assez polémique… De ce grand écart en apparence – et qui nous invite à la lecture -, voyons-en les constituants significatifs.
Malgré quelques ruptures de style et un certain recours aux formules-chocs, l’ouvrage de Kako Nubukpo est d’une lecture agréable et « dynamique » ; il se présente comme une revue critique et résolue d’un ensemble de questions qui interpellent non seulement les africanistes mais un vaste lectorat sensible et curieux autour d’un continent qui reste, malgré tout, une énigme. Cependant, cet ouvrage – ne proposant pas de bibliographie et documenté de façon parfois insuffisante ou datée – ne pourra pas satisfaire pleinement les cercles universitaires. Mais, l’auteur ne visait assurément pas ce public en premier lieu.
En fait, il a eu essentiellement l’intention de lancer un cri d’alarme sur plusieurs sujets d’importance, en précisant les maux qui affectent l’Afrique ainsi qu’en réfléchissant à des pistes pouvant mener à des solutions. Mais s’il est souvent relativement aisé d’effectuer un état des lieux, il est bien sûr beaucoup moins simple d’émettre des recommandations véritablement opérantes…
L’introduction rappelle quelques grandes réalités (l’Afrique n’est pas un continent homogène et indifférencié ; en 2050, plus de 25% de la population mondiale sera africaine, etc.), énumère les problématiques traitées et donne déjà, en filigranes, la position générale de l’auteur sur ces sujets (se méfier des alternances presque puériles d’afro pessimisme excessif et d’afro optimisme démesuré ; repenser globalement les rapports avec la France et les grands instruments qui lui sont rattachés ; donner toute sa place au politique ; développer les forces endogènes africaines,…).
Nous ouvrons sur « L’Afrique, laboratoire du néolibéralisme », avec un ensemble de considérations politico-économiques sur les effets délétères de l’application, à grande échelle, des dogmes libéraux sur des économies et des situations politiques qui ne remplissaient pas les conditions initiales suffisantes pour un succès de la médecine appliquée. Déjà, ce que l’on peut observer, est que les malheurs de l’Afrique liés à ce phénomène ne lui sont pas propres mais sont largement observés dans d’autres pays ou continents ! Ceci étant, on ne contredira pas les propos alarmistes et consternés du professeur Kako Nubukpo sur les Programmes d’ajustements structurels appliqués froidement, mais l’on espère que l’alternative à Bretton Woods ne consistera pas à se jeter dans les bras de Marx… Bien entendu, on ne peut qu’être en phase avec l’affirmation que les trois piliers de la vie africaine sont « la réciprocité, la redistribution et l’échange », mais comment donner chair à ces beaux principes ?
« Les faux-semblants de l’émergence » recueillent l’adhésion du lecteur. La tentation est grande et dangereuse – comme dans d’autres parties du monde encore une fois – d’opter pour un développement sans démocratie. Mais comment faire participer vraiment les populations dans un univers où les indicateurs de conduite de l’économie et même de la politique sont dictés par l’extérieur (les fameux ODD – Objectifs de développement durable) avec des dirigeants complices, où l’absence de statistiques fiables biaise tout prise de décision et où le « facteur anthropologique » est souvent ignoré ?
« L’agriculture africaine peut-elle survivre ? ». La question est pertinente mais, curieusement, l’auteur se concentre sur quelques sujets, certes emblématiques (le coton, la prédation de terres agricoles en faveur de l’extraction de l’uranium et de l’or au Niger, la baisse des prix,…), tandis que l’on aimerait des développements plus structurés sur des questions majeures, que l’auteur évoque ou effleure mais qui sont, elles, absolument centrales : (i) comment donner une réponse délibérément « locale » au danger de ne plus disposer d’une agriculture dont l’objet principal est quand même de nourrir une population toujours plus nombreuse et toujours plus urbanisée (et non pas, en priorité, d’alimenter un marché d’exportation). A ce titre, des réflexions plus fournies sur l’agriculture villageoise / familiale destinée à une autoconsommation vitale, encore très vivante mais qui se fragilise, sont souhaitables ; concomitamment, (ii) l’urbanisation exponentielle des pays africains, la difficile question foncière, les multiples dégradations de l’environnement qui pénalisent tant le monde rural sont des sujets qui deviennent prégnants et méritent un traitement.
L’incontournable sujet « Démographie et migrations : la peur du « Noir » ? », énumère de manière rigoureuse quelques vérités utiles : ce n’est pas la pauvreté qui pousse à la migration ; l’aide au développement ne sert finalement pas à grand-chose dans nombre de domaines ; l’impact des transferts de fonds est réel et beaucoup plus important que celui de l’aide au développement semble-t-il, …
Par ailleurs, l’auteur a raison de souligner que les projections à 2050 de la population africaine en âge de travailler et les perspectives d’emploi « induisent un défi sans précédent en matière d’emplois et [que] les réponses actuelles ne semblent pas être au niveau du volume et de la qualité des emplois requis par la donne démographique ». Et il discerne sûrement qu’il faut se méfier du concept dangereux de « dividende démographique », qui frôle l’imposture lorsqu’il est brandi comme une solution de sortie presque magique à tous les problèmes induits par l’augmentation stupéfiante de la part de la jeunesse dans la population africaine. Sujet brûlant que si peu de responsables abordent encore réellement…
« Le mythe du grand marché africain » soulève avec pertinence la question des ressources – nombreuses et fructueuses pour les Etats – en provenance des douanes et de l’existence de frontières sévères… Ce qui montre la difficulté à faire advenir un marché africain vraiment ouvert dans le même temps où le libre-échange devient une question incontournable du fait du lancement maintenant officiel de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA).
Et le vaste sujet du « franc CFA, derniers jours d’un condamné » ne sera certainement pas clos de sitôt ! Là, d’ailleurs, nous entrons à nouveau dans un domaine particulièrement controversé.
Une seule question, un seul vrai problème : comment assurer la crédibilité et donc la convertibilité d’une nouvelle monnaie purement africaine ? Qui plus est dans la perspective, par exemple, d’une monnaie ouest-africaine qui serait celle, notamment d’un pays massif comme le Nigeria ? Il serait peut-être dommage de remplacer la tutelle supposée de la France par la puissance écrasante du Nigeria… Et d’ailleurs, le Nigeria est-il prêt à entrer dans une vaste zone monétaire ? Se souvenir, tout de même, que le Nigeria est, à nouveau, la première économie d’Afrique (devant l’Afrique du Sud) avec un PIB (Produit intérieur brut) de près de 450 milliards de dollars US !
Cruciale question que celle de « La transformation structurelle : vers une économie arc-en-ciel en Afrique ? », car elle ouvre sur la question plus précise et moins imagée : « Quelle industrialisation et, d’ailleurs, l’industrialisation est-elle indispensable ? ».
Se méfier des incantations autour du « merveilleux numérique », mais c’est un domaine où la jeune Afrique peut émerger puissamment.
On termine par l’inévitable « France-Afrique : y a-t-il un économiste dans la salle ? » où une certaine colère à l’encontre du Président de la France peut surprendre et risque de diminuer par là-même la portée des propos tenus. Bien sûr, la France a commis des erreurs et, même des fautes. Mais, enfin, comment ne pas reconnaître qu’elle est un pays encore bien « policé » et bienveillant par rapport à beaucoup d’autres ?
En conclusion, on ne peut que souhaiter à l’Afrique de disposer de dirigeants pragmatiques, soucieux du bien commun et courageux afin que ce continent « s’impose » de façon naturelle.
Le livre du professeur Kako Nubukpo constitue un repère utile pour les questions en suspens, sans prétendre fournir, dans tous les domaines explorés, des réponses absolues aux problèmes du moment. Bien sûr, cet aperçu qui se veut général n’aborde pas tous les sujets. Mais, la vivacité des propos oblige à la réflexion et à l’échange (voire à la saine controverse !).
Jean-Pierre Listre.
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