Communication au colloque de l’UCAC (10-11 mai 2012) :
Identité et mission de l’Université catholique en Afrique : Civilisation, culture et foi
Introduction : Pourquoi un ‘Européen’ parle-t-il encore ?… de savoir… ou d’espoir ?
Je vous remercie, Monsieur le Recteur, Monsieur le Modérateur, et vous tous chers Amis, de m’avoir invité à ce colloque du 20ème anniversaire de votre Université à l’origine de laquelle je n’ai pas été étranger, avec bien d’autres, et notamment Monsieur l’abbé Barthélemy NYOM que j’eus aimé revoir ces jours-ci – comme nous le prévoyions – s’il ne nous avait pas quitté il n’y a pas deux mois, et que vous avez accompagné à sa dernière demeure avec tous les honneurs qui lui étaient dus de par son expérience de courage, d’épreuves et de sagesse.
J’ai passé vingt-deux années en Afrique, à la demande du Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, le Père Kolvenbach, à qui j’avais eu l’imprudence de proposer, dès 1985, la création de quelque structure universitaire en Afrique – moi-même étant alors doyen d’une Faculté de sciences sociales à l’Université catholique de Paris que fréquentaient des Africains de plus en plus nombreux. Cela commença donc par la mise en place, dès 1989, de l’Institut catholique de Yaoundé, de concert avec les Evêques de l’ACERAC (association des conférences épiscopales de la région d’Afrique centrale), la complicité active du Saint-Siège et la bienveillance de la République du Cameroun ; l’Institut put s’appeler Université catholique d’Afrique centrale (UCAC) dès la création de sa troisième faculté, de philosophie. Cela continua, pour ce qui me concerne, avec la mise en place, dès 2002, du Centre de Recherche et d’Action pour la Paix à Abidjan, en lieu et place de l’ancien INADES (Institut africain de développement) créé quarante ans plus tôt (en 1962), avec – au-delà de ses compétences économiques et sociales auxquelles il était originellement réduit – leur extension aux domaines politique, culturel et religieux, au sein d’une structure universitaire également nouvelle – en intelligence avec l’UCAO, Université catholique d’Afrique de l’Ouest, déjà implantée à Abidjan. Cela se poursuivit enfin par une contribution à la création de l’Institut Cardinal Jean Margeot, en 2009, à l’Ile Maurice…
De retour en Europe il n’y a pas encore neuf mois, après vingt-deux années d’imprégnation africaine, j’éprouve d’étranges sentiments : la redécouverte d’un monde qui m’avait été jadis familier, devenu autre que celui que je connaissais, et dont je fais l’expérience d’être en quelque sorte étranger ! M’informant de ce que devient la recherche à l’Université catholique de Paris et dans les universités d’Etat, j’y constate, avec l’aide de collègues amis demeurés au Nord pendant mon absence, un malaise général, celui de ne plus avoir de claire conscience de leur mission au sein d’une civilisation en grand désarroi. Sans doute l’Europe en est-elle arrivée à son déclin, comme ce fut le cas, avant elle, de bien d’autres civilisations : l’Egypte, la Grèce, l’empire romain, les empires aztèque et inca…
Et c’est donc à partir de ces expériences successives que je vous propose de nous interroger et réfléchir sur la mission des universités et leur contribution à la société et la civilisation en général, en Europe, en Afrique – et plus spécialement des universités ‘catholiques’, en restituant à ce mot son sens originel, venu du grec katholikos = universel (sans limiter sa portée à la seule institution ecclésiale dite catholique, apostolique et romaine). Université et catholicité indiquent une même préoccupation : celle de l’unité dans la diversité, de l’un et du divers. La mission de l’Université n’est-elle pas en effet d’être comme le creuset de l’un et du divers au sein de chaque société particulière et du monde dans son ensemble, d’être leur laboratoire, capable d’ordonner et de rendre habitable leur chaos originel ?
1ère partie : L’Université et la civilisation européenne, aujourd’hui arrivée à son déclin
A. Il y eut une belle civilisation européenne…
Nous autres civilisations, savons que nous sommes mortelles… C’est à cet aveu qu’était parvenu (il y a déjà 80 ans !) Paul Valéry, méditant sur l’histoire du monde, et l’écrivant dès 1924, dans La crise de l’esprit, en évoquant divers temps du monde et de l’humanité : le temps de l’Egypte et de ses Pharaons, le temps des Grecs et de leur civilisation hellénistique jusqu’en Inde, le temps de Rome et de son empire tout autour de la Mer Méditerranée, le temps de la Chrétienté qui lui succéda jusqu’au Moyen-Age dans l’ensemble du continent, et le temps de la civilisation européenne dans ses diverses versions particulières – italienne, française, britannique, allemande, espagnole…
Et de fait l’Europe a sans doute été, un temps, le lieu privilégié de l’éclosion d’une civilisation après celles qui l’ont précédée dans ce statut, et avant d’autres qui lui succèderont et ont déjà pris leur rang dans ce processus de succession dont les lois nous dépassent bien sûr. Et, de même que celles qui l’ont précédée ont apporté chacune leurs marques particulières à l’histoire générale du monde, et les lui laissent d’une certaine manière en héritage, l’Europe aura apporté sa marque : ce fut, je crois, celle des Universités qui ont éclos à partir du 13ème siècle et ont fait de l’Europe, pour l’essentiel, ce qu’elle est. A Bologne (Italie) dès la fin de 12ème siècle, à Paris en 1200, à Valence (Espagne) en 1209, à Oxford (Angleterre) en 1214, les premières Universités voient le jour. Bien d’autres suivront, à Salamanque, Cambridge, Louvain, Heidelberg, Prague… Il est intéressant de regarder de plus près les circonstances de la naissance de celle de Paris : le roi (Philippe-Auguste) y encourage les maîtres et élèves à créer une Universitas échappant à la tutelle de l’évêque et à ses prétentions à assurer le monopole de l’enseignement et le contrôle de son contenu ; encouragements confirmés par le pape Innocent III dès 1208, puis par son Légat Robert de Courçon en 1215, et plus tard encore, en 1229, par son successeur, Grégoire IX. Robert de Sorbon y adjoint en 1253 un collège, la Sorbonne. Il s’agit de développer un type d’enseignement et de formation de l’homme différent de celui que la hiérarchie religieuse impose avec sa bonne doctrine et ses dogmes ; à partir d’une attitude dubitative quant aux certitudes premières que les humains peuvent se faire, est proposé la disputatio ou la différenciation des jugements, l’art des débats, des hypothèses et des thèses, des controverses et du dialogue, bref la logique propre à l’esprit critique et à la dialectique. C’était ouvrir les portes de la pensée ‘moderne’ qui, sortant du Moyen-Âge, conduira vers la Renaissance, la Réforme, le siècle dit des lumières, la Révolution, et la Modernité.
L’Université aura été le creuset où s’est formée la civilisation européenne, à travers l’âpre querelle entre ‘anciens’ et ‘modernes’ : de la fin du 16ème siècle (et la découverte des nouveaux mondes) à la fin du 18ème, avec l’appui des gens des bourgs (‘bourgeois’ de la première urbanisation), le mouvement aboutira à substituer de nouveaux régimes d’Etat démocratiques aux anciens régimes monarchiques et aristocratiques. Le 19ème siècle aura sans doute été le siècle d’or de cette civilisation européenne que le 20ème ne parviendra pas à prolonger : les deux guerres mondiales et leurs abominations (dont la Shoa), puis l’émancipation des ‘colonies’ que s’étaient constituées les puissances européennes, ont en quelque sorte signé la fin d’une ère qui n’en finit certes pas de passer. C’est que rien ne se fait sans la durée, tant pour croître que pour décroître. Il est de beaux restes encore de cette civilisation de l’Europe que lui envient toujours bien des nations et vers laquelle convergent encore bien des populations en désir de migrer… Mais si l’Europe, désormais riche surtout de son patrimoine, devient progressivement un musée que visitent les touristes de l’ensemble du monde, elle n’est plus le foyer qui s’imposerait de la civilisation universelle, alors que ce monde est entré dans le temps de sa globalité, et que d’autres nations deviennent aussi les acteurs qualifiés de la civilisation mondiale.
B. La civilisation européenne présente aujourd’hui les symptômes de sa mort…
Il n’est certes pas aisé pour les Européens d’admettre l’hypothèse qu’ils sont parvenus sans doute au terme de leur gloire et de leur suprématie, à la fin de leur existence comme référence première pour le monde et son histoire. Certes les conditions dans lesquelles s’est achevée la seconde guerre mondiale en Europe (pour ne pas parler de l’Asie) les ont déjà contraints à connaître l’humiliation d’être occupés sur l’ensemble de leur continent par les forces étrangères, principalement nord-américaines, qui les avaient libérés de leur asservissement et relevées de leur déchéance. La présence militaire de ces forces n’est certes plus aussi nécessaire aujourd’hui (quoique toujours là), mais la colonisation du continent sous toutes les autres formes possibles – de la langue, de la culture, des comportements, de l’économie et de la finance, de la vie politique, de la littérature, des arts, de la religion – donne aux Européens le sentiment communément partagé d’un malaise général : celui de l’effacement des repères de la société moderne conçue ‘à l’européenne’. L’Europe peine à sauvegarder l’identité qu’elle a cherché et voulu se donner au sortir de la guerre mondiale pour compenser le déclin de ses nations : mais ses querelles intérieures sont les premières à affaiblir sa place et son influence dans le monde global contemporain ! Son déclin est sans doute définitif : l’avancement des sciences, les inventions techniques, la croissance économique par développement de la production, du commerce et de la consommation, les progrès dans tous les domaines de la santé et de l’éducation ainsi que des services sociaux auxquels elle peut se flatter d’être encore parvenue pendant la seconde partie du 20ème siècle y est aujourd’hui certainement compromis, ne serait-ce que par la déliquescence des mœurs, l’importance du jeu, l’inquiétude et la peur qui se sont emparées des opinons publiques dans tous les pays de l’Union européenne.
La crise est en effet profonde : si l’Europe occidentale est parvenue à la prospérité qu’on lui connaît encore, il ne semble plus possible objectivement qu’elle en conserve le niveau dans le contexte de la concurrence mondiale à laquelle elle doit faire face dorénavant. La dernière campagne électorale en France a permis l’expression publique des craintes que cette concurrence fait naître : l’impossibilité de maintenir l’emploi dans les entreprises dont le coût est désormais trop élevé en comparaison de celui des concurrents en Chine, en Inde, au Brésil, en Russie et en Afrique déjà… Les employés ne pouvant accepter facilement la diminution drastique de leurs salaires, les entreprises sont et seront délocalisées et le chômage s’accroîtra inexorablement. Les pouvoirs publics seront confrontés aux revendications des uns et des autres sans pouvoir leur apporter les satisfactions qu’ils attendront. Des débats difficiles s’ouvrent : sur l’emploi et le travail, la consommation, les avantages sociaux (qui ne pourront plus être assurés comme ils le sont actuellement), la concurrence entre travailleurs immigrés et ‘nationaux’, la réglementation de l’immigration, le protectionnisme économique et social… mais aussi culturel…
Dans ce contexte, les Universités semblent, malheureusement, avoir perdu le sens de leur mission : chercher, comprendre et dire le sens possible des choses. Si quelque club ‘Futurible’ s’intéresse aux perspectives d’avenir de la société internationale, peu nombreux sont ceux qui le fréquentent. Que ce soit en France ou en Angleterre, beaucoup d’universitaires avouent être désorientés par l’évolution en cours, ne pas parvenir à en identifier les causes, se contenter de dispenser des savoirs et des diplômes en technicités diverses (spécialement en informatique, communication et finance), être dépourvus d’initiative en recherche tant soit peu fondamentale. Tout semble se passer comme si la ‘foi’ – au sens le plus général, avec ce qu’elle suppose de confiance en soi, en l’autre et en ‘Dieu’ – commençait à manquer, se perdait ou n’était entretenue que pour parer artificiellement au risque de s’affronter aux questions radicales de la fin d’un monde : ne ferait-on pas seulement semblant d’y croire encore ? L’Occident en serait-il réduit à la méthode Coué ?
C. Un héritage à exploiter, pour le meilleur et pour le pire, sous bénéfice d’inventaire…
La civilisation européenne existe encore, serait-ce sous forme de survivance, et, comme celles qui l’ont précédée, de Grèce, de Rome ou de Chrétienté, elle laissera aussi, dans le patrimoine commun de l’humanité, des traces sans doute durables. Elle constitue un héritage, un assez bel héritage assurément, à gérer encore par ses actuels détenteurs qui peuvent toujours y puiser les énergies de leur survie – et quelle existence n’est pas capable encore de quelques beaux jours dans ses derniers jours ? – mais aussi à exploiter et faire valoir par ceux qui voudraient s’en porter héritiers. Rome savait ce qu’elle devait à la Grèce, l’Europe sait encore ce qu’elle doit à la Grèce et à Rome et à la Chrétienté lors de sa propre Renaissance. Si les civilisations elles-mêmes sont mortelles, leur creuset de foi et de culture est encore là, disponible pour d’autres et pour des redécouvertes toujours possibles…
Le meilleur ? Cela aura été et demeure l’invention intellectuelle qu’après Socrate, Platon et Aristote en Grèce, Cicéron Sénèque et Marc-Aurèle à Rome, les Européens ont faite de la liberté, après Dun Scot (1266-1308), à partir du Quatrocento italien, en contrepoint de tous les arguments d’autorité qu’ils connaissaient jusqu’alors depuis l’empire romain-germanique de Charlemagne. C’est le travail fait par l’école du droit naturel et des gens avec Grotius et Pufendorf, Hobbes et Locke, Descartes et Spinoza. Ce seront après eux les travaux à prétention scientifique des Lumières et des encyclopédistes, de Saint-Simon et d’Auguste Comte. Ce seront un peu plus tard les réflexions des anarchistes Godwin, Stirner, Proudhon, Bakounine, Malatesta. En même temps que cette recherche s’applique à déconstruire tout ce à quoi elle s’attarde, elle s’applique à reconstruire systématiquement mais autrement tout ce à quoi elle s’est attardée. Kant et Hegel, Marx et Nietzsche, Heidegger et Sartre, mais aussi Montesquieu et Rousseau, Tocqueville et Max Weber, Freud et Merleau-Ponty, uns et autres se sont investis aux prises avec les champs de la philosophie, de la sociopolitique, de la psychologie, de l’histoire… Tous, à la fois provoquent et stimulent le désordre et la remise en ordre des sociétés, en Europe mais aussi ailleurs dans le vaste monde. Oui, les Universités ont été puissamment à l’œuvre tout au long de la civilisation occidentale. La foi en l’aventure de la recherche a engendré une culture et, plus loin, une civilisation certes pour le meilleur : l’autonomie de la personne humaine, individuelle et sociale ; la laïcité de la société ; la sécularisation du monde et sa sortie progressive de la ‘religion’…
Mais pour le pire aussi… Dès 1949, Georges Orwell publiait son roman de fiction-anticipation, 1984, dissuadant ses lecteurs de voir dans l’Occident le meilleur des mondes possibles, alors qu’il irait au contraire vers une société de surveillance et de restriction des libertés, vers un Etat totalitaire et policier. La mathématisation et la numérisation de tous les ingrédients qui font la société – choses et vivants –, leur traçabilité, le progrès des automatismes et des robots, l’évaluation de toutes choses selon la statistique et l’accès à leur connaissance virtuelle par simple accès informatique, la réglementation ‘technique’ de tous les comportements qui font la vie extérieure de l’individu et de la société et leur gestion en ‘risque zéro’, la réduction des personnes à leur anonymat au sein de l’opinion publique, substituent progressivement des réflexes conditionnés de seule vie extérieure à la réflexion dont les personnes sont normalement les sujets libres et capables par vie intérieure. Reste à la machinerie sociale le soin d’assurer que soit encore ‘consommé’ ce qu’elle peut encore produire en tous genres…
Il n’est pas sûr que la ‘sortie de la religion’ analysée par Marcel Gauchet n’ait pas abouti à faire aussi le vide des attentes, du désir et de l’espoir que, pour le meilleur, la civilisation occidentale avait su encourager sinon susciter avec ses Universités. C’est à la Sorbonne qu’a éclaté la révolution culturelle qui, en 1968, devait ébranler tout l’édifice que cette civilisation était encore mais ne parvient plus à être vraiment, …‘en proie au corps absent et bouche bée devant l’autre monde’(Claude Lefort).
2ème partie : Le moment venu de civilisations nouvelles, en Afrique, et d’Universités
Permettez-moi d’évoquer mon premier contact avec l’Afrique : c’était en avril 1960, à Dakar, à l’occasion du lancement de l’Université dont le recteur était alors Lucien Paye, français. La Fédération du Mali y faisait les pas qui ne suffiraient pas à la maintenir alors plus de six mois. Notre groupe d’étudiants parisiens y était reçu par le président de son assemblée fédérale, Léopold Cedar Senghor. Et nous sommes ici dans une Université où le Français que je suis a pris une certaine part à sa création. Mais nous sommes ici pour réfléchir à sa mission culturelle d’Université pour le développement intégral de la société en Afrique aujourd’hui, au-delà des origines de sa création et de sa part d’héritage de la civilisation occidentale, européenne et française. Pour quel développement ? Pour quelle culture ?
A. Quel développement ? Une analyse africaine qui devient de plus en plus commune…
Il y a un mois, le CESAG de Dakar organisait une conférence sur L’Afrique, enjeux et perspectives géopolitiques. Adama Gaye[1] y disait que l’obstacle majeur au développement de l’Afrique est le problème du “leadership” : ‘Le plus grand défi du continent c’est la question du leadership africain… l’un des principaux maux qui gangrènent le développement du continent.’ Rassurant ses étudiants que le continent est bien sur la rampe du développement, il leur signifiait aussi qu’il reste handicapé par la qualité de ses leaders, surtout politiques ajoutait-il, dont la plupart ‘sont corrompus et ne sont pas à la hauteur des défis actuels’. Le développement du continent n’est pas impossible : on y enregistre des taux de croissance remarquables : ‘Ces 10 dernières années, six pays africains font partie des meilleurs taux de croissance’, et son décollage est attendu pour ce siècle, identique à ceux de la Chine il y a 30 ans, de l’Inde il y a 20 ans. Gaye ajoute : ‘ce qui va sauver l’Afrique, ce n’est pas l’aide publique au développement ! Mais parce que le continent est devenu un marché, et que les technologies y sont considérablement utilisées, ce sera l’Investissement direct étranger (IDE) qui sera le levier du développement : l’Afrique est un lieu recherché pour ce type d’investissement, le profit en est certain’. Autres atouts du continent, selon M. Gaye : la baisse de l’inflation, le recul de la dette, le développement du Produit intérieur brut (Pib), le développement de la coopération Sud-Sud, la ruée des puissances comme l’Inde, la Chine et le Brésil vers ce continent. Et aussi les victoires démocratiques enregistrées ces dernières années, le potentiel en ressources naturelles (dont 10% de réserves mondiales en pétrole), la participation de l’Afrique aux grands rendez-vous du G20 et du G8, la vitalité de sa jeunesse… Mais, sans oublier certes le déficit en matière d’alimentation et bien d’autres carences, c’est principalement la défectuosité du leadership africain qui constituerait l’obstacle majeur pour relever les défis du continent. Gaye invite les Africains à miser sur des leviers comme la formation, la technologie, la productivité, l’utilisation rationnelle des ressources, la lutte contre la fuite des cerveaux. Et de préciser encore : ‘Le développement n’est pas un phénomène immédiat. Sa réalisation peut nécessiter des années mais les pays africains ont la possibilité de le réaliser en adoptant les bonnes pratiques’. En bref, il faut sortir de l’afro-pessimisme, aller vers l’afro-optimisme et accéder à l’afro-réalisme. Relevons, pour ce qui concerne l’Université, les recommandations de former les étudiants : 1/ aux diverses techniques, 2/ au leadership (i.e. en français, selon le dictionnaire : au commandement, à la direction, à l’hégémonie,), 3/ aux bonnes pratiques (en discernant ce qui est bon et ce qui l’est moins, en appréciant ce qui vaut ou pas).
B. Quelles formations ? A quelles valeurs ? A quelle culture ?
Adama Gaye se faisait à Dakar l’écho des préoccupations de tous les experts en développement, surtout essentiellement de type économique dont on sait l’importance, mais au meilleur sens du mot c’est-à-dire en allant jusqu’à inclure, au-delà des techniques à s’approprier par des savoirs particuliers donnant accès à des métiers professionnels, l’apprentissage des bonnes pratiques, y compris politiques. Ce légitime souci de former l’Homme à la responsabilité éthique de ses propres comportements est évidemment une préoccupation majeure pour une Université qui ne peut se contenter d’être un simple temple du savoir comme elle est trop souvent présentée, au risque d’être confondue avec ce qu’on appelle les ‘Grandes écoles’ à finalité professionnelle. Les fins premières de ‘l’Université’ ne sont pas d’abord l’acquisition de simples connaissances scientifiques et technologiques, mais la formation de l’esprit humain à des manières de penser et de juger, ainsi qu’à des valeurs et à leur intelligence.
Est-il permis de penser que l’UCAC (Université catholique d’Afrique centrale) en est déjà bien arrivée à ce stade de pouvoir satisfaire les attentes que la société aurait ou pourrait avoir à ce sujet en Afrique centrale ? Certes les résultats objectifs de ses étudiants obtenant des diplômes divers et des emplois qualifiés dans la vie professionnelle sont là, fort encourageants, donnant à penser que les formations techniques sont très correctement assurées dans toutes les disciplines offertes : des sciences infirmières aux ingénieries industrielles ; des techniques comptables et financières aux divers arts du management ; des bonnes procédures intellectuelles en sciences sociales et philosophiques aux bonnes façons de présenter la doctrine chrétienne et, plus spécialement, catholique. Néanmoins il conviendrait d’évaluer à un autre plan, plus moral que technique, les performances d’une Université qui vise d’abord au développement de l’Afrique par les Africains, sur place, et avec le désir d’une implantation véritable de la dynamique que suppose celui-ci : la foi en soi, la prise d’initiative comme acteurs, la volonté de servir la société dans des conditions parfois difficiles, l’intégrité dans les comportements des étudiants, à l’Université déjà et plus tard dans la vie professionnelle… Absent depuis dix ans du berceau natif de l’UCAC, je ne suis pas en mesure d’en juger, mais nous savons les grandes difficultés de résister aux séductions et aux contraintes sociales, depuis celles du ‘cercle familial’ jusqu’à celles des clientèles politiciennes…
Marcel Zadi Kessy, devenu, après d’importantes responsabilités de chef d’entreprise, président du Conseil économique et social de Côte d’Ivoire, aborde ces différents problèmes dans son ouvrage en forme d’interview : Renaissances Africaines (avec Jean-Luc Mouton, aux éditions Des îlots de Résistance, 21 octobre 2010). Il y invite les Africains à ‘réinventer leur futur’, à leur manière, sans souci de copier les autres (par exemple ‘occidentaux’) et leurs comportements. Il entend les amener à réinventer leur futur en procédant à une véritable révolution psychologique et culturelle, et en propose une mise en œuvre par un ‘développement de proximité’ prenant en compte les aspirations profondes du peuple. Pour Zadi Kessy, l’Africain a besoin d’apprendre des autres, et de se libérer des liens d’un complexe d’infériorité pour tendre vers l’autre dont il doit tirer ce qui fait sa force et sa réussite. A toutes les pages de son ouvrage il réitère son invitation à la formation et à l’éducation : ‘Une révolution économique, politique, démocratique, morale et spirituelle est possible, comme elle est nécessaire, l’avenir de l’Afrique se trouvant dans la culture de l’universel.’ Tout en ajoutant avec vigueur : « Surtout, ne pas nous laisser corrompre ! La rencontre des autres peuples et l’appropriation de leurs nouvelles techniques et modes de vie sera d’autant plus facile que nous serons assurés dans notre propre culture et fiers de ses valeurs » (page 202). Je dois avouer ici ma perplexité : est-il possible précisément d’éviter la ‘question culturelle’ si souvent au centre de nos débats ? Comment éviter l’affrontement et le travail d’adaptation entre cultures particulières et culture de l’universel ? Comment prendre les décisions nécessaires pour trier l’ancien et s’approprier le moderne en vue de faire fructifier le meilleur de l’un et de l’autre dans une Tradition culturelle vivante, toujours renouvelée de quelque manière ? Or très nombreuses sont en effet les adaptations à faire, au plan culturel, entre anciennes traditions et modernes innovations pour consolider le dynamisme d’une Tradition vivante qui, pour reprendre l’expression de Zadi Kessy, a foi en soi et invente le futur ! En voici trois, par exemple, sans doute primordiales.
Au premier chef c’est le problème de la Personne et de son identité qui demande d’être étudié et réfléchi avec obstination : est-elle un simple élément du groupe communautaire auquel elle est en quelque sorte assujettie, sans autonomie particulière ?… peut-elle être reconnue dans son originalité et son indépendance singulière ?… C’est pour Jean-Paul Ngoupandé la question principale qu’il expose dans Racines historiques et culturelles de la crise africaine. ‘Il y a deux manières de concevoir l’homme. La première consiste à poser l’individu humain comme personne, c’est‑à‑dire en tant que valeur absolue, irréductible à une chose, encore moins à une marchandise… Au‑delà de l’apparence physique de l’individu, il y a la personne, qui est inviolable. L’humanisme, cette conception qui élève l’homme au rang de valeur absolue, a été une conquête difficile et longue de l’humanité… L’autre façon de concevoir l’homme consiste à le réduire au rang de simple subdivision ou composante numérique du groupe social ; c’est le clan, l’ethnie, le royaume qui priment. L’individu n’a pas de valeur propre. Il ne vaut que par son appartenance au groupe social. Il peut donc être sacrifié pour l’intérêt du groupe social, ou de celui qui prétend l’incarner.’ La question est loin d’être déjà entendue en Afrique, comme les controverses entre individualistes et communautaristes, au colloque organisé en 2006 à Abidjan sur la déclaration universelle des droits de l’homme, ont permis de s’en rendre compte.
Au second chef c’est le problème de la Responsabilité sociale de toute personne, individuelle ou sociétaire (par exemple une entreprise). Toute personne vit dans un tissu social dont elle fait partie et dont elle ‘répond’ pour sa part. Il y a lieu de réfléchir à ce que nous entendons chacun par ce mot : répondre, c’est faire connaître son sentiment, par la pensée, par la parole, par des actes, et donc faire connaître jusqu’à quel point chacun s’avoue et s’éprouve solidaire de son environnement : celui de sa famille, de son village, de son entreprise, de son ethnie… La solidarité n’est pas l’alibi trop facile qui permettrait de pouvoir toujours compter sur l’autre, sur son assistance, sur son aide, la première forme de solidarité étant bien sûr avec soi-même : aide-toi et le ciel t’aidera ! Ici encore, la société africaine a certainement besoin de réfléchir – comme toutes les autres sociétés – à ce en quoi consiste la solidarité et les Universités devraient en être les lieux les plus appropriés car il s’agit de questions à débattre ! C’est vrai de la solidarité au sein de nos familles naturelles, c’est vrai pour les entreprises qui ont des responsabilités avec toutes les parties prenantes de leur entourage.
C’est au troisième chef le problème de Vivre ensemble malgré tout au sein de la grande société. Au-delà des microsociétés où il est encore relativement aisé d’évoluer de manière simple entre partenaires ayant entre eux bien des traits communs immédiatement repérables (lignage, langue, usages et coutumes…), il est plus difficile de vivre en macro-société nationale les mille et une altérités qui nous divisent, nous font adversaires les uns des autres, et vivre habituellement et de manière ordinaire en conflits quasi-permanents. L’altérité se prolonge normalement en altercation ! La question politique de vivre ensemble comme partenaires-adversaires tout à la fois au sein d’une même nation, en citoyens de la même cité, est une question toujours plus urgente en Afrique comme ailleurs – et l’Europe n’en a pas nécessairement déjà fini non plus !
3ème partie : La mission spécifiquement ‘catholique’ de l’Université
A. Que peut-on, doit-on entendre par la proposition ‘catholique’ d’une Université ?
Peut-être, par une sorte de réflexe non réfléchi, comprenons-nous immédiatement le mot catholique comme une référence à l’organisation spécifique bien connue de la constellation chrétienne : l’Eglise catholique, romaine et apostolique. Ce n’est certes pas faux, s’agissant de votre Université catholique d’Afrique centrale, bien répertoriée au sein de la Fédération internationale des universités catholiques, en relation organique avec le Saint-Siège et ses administrations. Mais ce serait oublier que le sens de ce mot ne se limite pas à l’espace-temps de cette Eglise qui, si elle se définit d’ores et déjà comme telle, vise un espace-temps autrement important que celui auquel elle est actuellement assimilée et qui lui est de plus en plus contesté – je fais allusion bien sûr à la crise que connaît cette Eglise aujourd’hui – plus spécialement en Europe, et dont il nous faudra dire quelques mots un peu plus loin. Sauf à confondre le fond et la forme, il n’est ni juste ni possible de définir immédiatement le caractère catholique, au sens d’universalité, par le rattachement formel à une organisation porteuse de ce nom.
Penser l’universalité (ou la ‘catholicité’) est la tâche primordiale, la mission fondamentale de toute Université dont les objectifs sont, rappelons-les, la recherche de la vérité par les moyens privilégiés de la disputatio, de la confrontation des jugements (putatio) des uns et des autres, de l’affrontement de leurs thèses, donc de la contradiction (dire quelque chose contre une autre), du débat, du dialogue qui, loin d’être toujours paisible, peut revêtir bien sûr une certaine âpreté (comme entre Jésus et nombre de ses interlocuteurs). Est-on facilement disposé à entrer dans l’arène de ces échanges virant normalement à des discussions, des disputes ? Les mots font peur, effarouchent. Mais n’est-ce pas oublier leur sens : ils relèvent, certes, du contexte de l’altercation et du conflit entre adversaires, mais il s’agit de moyens pour parvenir à des fins : chercher et faire la vérité, et, par-là, établir une société de confiance – où les interlocuteurs sont invités à se retrouver ‘partenaires’ en vérité. La situation des ‘universitaires’ est celle, éminente, de partenaires-adversaires en débat, pour établir une société de confiance en vérité !
Et, plus particulièrement en ce siècle de mondialité, de société planétaire, de globalité, ce dont il s’agit est de chercher et faire la vérité universelle de l’Homme, de son identité comme être personnel, à la fois individuel et social, responsable pour lui-même et vis-à-vis des autres de ce qu’il peut penser, dire et faire. Cet Homme, il est à la fois mondial et local, fondamentalement même et différent à la fois, à travers toutes les nations, leurs cultures, leurs religions, chacune légitime et respectable a priori, toutes conviées à une convivialité cependant difficile à établir en vérité ! On sait la thèse de Samuel Huntington, américain et ancien membre du Conseil national de sécurité, dans son ouvrage Le Choc des Civilisations, pour qui le centre de gravité des relations internationales est dans l’interaction entre la civilisation occidentale et toutes les autres – dont sept, plus importantes : confucianiste (chinoise), japonaise, hindouiste, islamique, slovaquo-orthodoxe, latino-américaine et africaine : elles constituent comme des plaques tectoniques de l’actuel espace culturel et civilisationnel mondial, avec des lignes d’affrontement, à l’instar de celles qui, pour la croûte terrestre, sont à l’origine de tremblements de terre et d’autres séismes. La société internationale connaît aujourd’hui une période certes convulsive. Mais ce n’est sans doute ni la première ni la dernière de son histoire, et il est certainement important de comprendre qu’il s’agit pourtant là d’une véritable « Histoire » que l’espèce humaine accomplit ainsi. L’humanité fait une histoire, son histoire, apparemment à tâtons, à travers diverses phases successives ; il est certes difficile d’en déchiffrer le sens, mais il paraît hasardeux de nier qu’elle en ait un. Un simple regard sur le passé suffit à percevoir que dans tous les domaines – scientifique, technologique, économique, social, politique, culturel, religieux… – l’espèce humaine est au moins en « Evolution ». Le mot et le concept en sont relativement récents : on les doit essentiellement au naturaliste anglais Charles Darwin dans l’ordre de l’évolution des espèces vivantes. Après lui, le mot et le concept sont entrés dans l’ensemble des sciences de l’homme et de la société, sous des appellations différentes (par exemple « développement », « progrès », « promotion » etc.). Si désemparé que puisse être l’Homme aujourd’hui devant le cours que semble prendre l’évolution de la société internationale, avec tous les germes de conflits et de violence qu’elle porte en elle, il est probablement plus sage de questionner l’énigme que propose cette évolution que de prétendre en résoudre assez rapidement – trop rapidement – les données apparentes… L’évolution comporte du sens, à la croisée de la libre initiative des hommes et de l’inspiration ‘divine’ – dont Qohélet nous dit : ‘J’ai bien considéré la tâche que Dieu impose aux humains pour les humilier. Toute œuvre de lui vient bien en son temps, mais il a mis l’éternité dans leur cœur ; or l’homme ne trouve pas le sens de l’œuvre divine depuis le début jusqu’à la fin’… Pour tout homme en général, la création toute entière est en attente de sa libération, de son accomplissement, de son achèvement, pour le chrétien en particulier la figure du Christ en est le vecteur axial, à la fois alpha et oméga, au centre du cosmos et de l’histoire, Fils de l’Homme et Fils de Dieu. Les convulsions de la société internationale ne sont sans doute pas sans receler quelque sens anthropo-théologique…
C’est dans l’étude attentive des relations inter-culturelles et inter-religieuses que l’Université a mission de chercher et parvenir à dire progressivement, par approximations successives, en quoi se révèle l’universalité qui fait, en profondeur, le lien espéré et la communion possible entre les humains, et dit leur égale dignité commune. Permettez-moi d’évoquer à ce sujet le rêve que j’ai fait – et que je continue de faire – en ayant participé, dans la modeste Ile Maurice, à la création de l’Institut Cardinal Jean Margeot : cette petite île de l’Océan indien n’a-t-elle pas vocation à être comme le centre du monde avec ses populations, ses langues, ses cultures et ses religions de toutes sortes qui y cohabitent ? N’aurait-elle pas vocation à devenir le siège de l’Organisation des Nations Unies ?
Quelle sera la contribution de la civilisation africaine au monde ? La civilisation romaine, avant de s’effondrer dans le pain et les jeux (panem et circenses), a su transmettre au monde les activités qui firent autrement sa dignité : la construction de routes de toutes sortes en Europe, en Afrique et sur les mers, et le droit avec lequel ils colonisèrent le continent qui en tira quelque profit après eux. Et l’Afrique sait elle aussi enrichir le monde de ce qui, dès aujourd’hui, fait l’originalité de sa civilisation et ne manque pas d’en marquer d’autres, aux Amériques, et déjà en Europe : la colonisation africaine a déjà commencé dans la musique et les arts[2], dans les quartiers et les entreprises, dans les affaires et dans la littérature, dans l’expression intellectuelle et religieuse… L’essentiel reste à faire en Afrique même bien sûr, et ce sera l’œuvre de tous ceux qui, de plus en plus, refusant d’y être assistés comme ce fut le cas depuis la fin de l’époque coloniale, revendiquent la dignité de prendre eux-mêmes leurs destinées dans leurs propres mains, et d’apprendre à décider par eux-mêmes de ce qu’il convient de faire. Beaucoup reste à faire, dit le Manifeste du Cinquantenaire adopté par un symposium à Cotonou puis par l’Union Africaine : L’audace, unique défi pour une Afrique nouvelle. Les initiatives ne font pas défaut, depuis la Fondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique (ACBF, African Capacity Building Foundation, dont un ancien enseignant de l’UCAC est un acteur dynamique) jusqu’à Méroë-Africa, Université populaire dévouée à l’éducation de tous et devant ouvrir très prochainement à Yaoundé. Il s’agit de relever le défi énoncé déjà en 1956 par le 1er Congrès des Ecrivains et artistes noirs dans une Université, à Paris/Sorbonne, sur le thème de l’Indépendance et de la responsabilité de l’Afrique dans la gestion du monde.
C. Catholicité et catholicisme : les indices d’une crise dans l’église institutionnelle
Un important problème reste à poser au moins, sinon à résoudre déjà : la catholicité de l’Eglise catholique est-elle authentiquement catholique ? Déjà, à la Sorbonne de Paris, en 1956, le 1er Congrès des Ecrivains et Artistes noirs osait avancer : ‘La voix des nouvelles cultures devra se faire entendre dans les instances culturelles ou spirituelles d’où s’énoncent les valeurs et se diffusent les réflexions qui jouissent de la plus grande autorité. Nous songeons par exemple à la vie chrétienne dans le monde. Nous ne sommes pas sans avoir remarqué que les Pères de l’Eglise, les docteurs, les saints sont tous insérés dans la seule culture occidentale. Les recommandations et décisions qui, de Rome, s’étendent sur le monde chrétien se formulent sous l’inspiration d’expériences, de ressources d’expression propres à l’Europe, et s’expliquent plus volontiers sur un fond historique propre à la culture occidentale.’ Et l’on sait qu’ici même, au Cameroun, quelques religieux se feront les avocats de l’ouverture de l’Eglise dite catholique à une plus grande catholicité que celle à laquelle ils avaient été initiés. C’est l’un des problèmes sans doute les plus difficiles auxquels l’Eglise catholique officielle a présentement à faire face : développées dans les catacombes romaines, les communautés chrétiennes ont aussi donné naissance plus tard, à la ‘Chrétienté’, avec une Eglise institutionnelle liée à l’organisation politique de l’ensemble de l’Europe. Au fur et à mesure de l’évolution, il lui fallut certes réduire les ambitions qu’elle aurait pu avoir de maintenir peut-être sa prédominance : acceptant tant bien que mal le morcellement de son empire et la présence de frères séparés, elle pouvait se consoler encore de l’audience du christianisme (spécialement thomiste) et de la civilisation chrétienne qui s’en réclamait – et c’est dans cet esprit que se développèrent les missions hors d’Europe, compensant en quelque sorte le recul de son influence en celle-ci. Ce recul s’accentua avec le développement de diverses écoles de pensée idéologiques qui n’entretinrent plus guère de relation avec lui et contribuèrent à la sécularisation de la civilisation dite occidentale ; l’Eglise catholique se restreint alors de plus en plus à l’organisation instituée de ce nom, moins ‘catholique’ que jamais. C’est à un aggiornamento (ouverture des fenêtres) que voulut procéder son pape, Jean XXIII : nonce chez les Turcs musulmans, chez les Bulgares chrétiens orthodoxes, et enfin chez les Français laïcs, il eut, tout traditionnaliste qu’il était, le sens des limites de crédibilité du dogme ‘hors de l’Eglise, pas de salut’, S’efforçant de travailler pour une catholicité plus grande (au risque de conflit avec la plus petite), il convoqua dès son élection en 1958 une réunion extraordinaire de l’Eglise : le concile Vatican II œuvre sept ans à réviser l’ampleur de la catholicité de l’Eglise en s’ouvrant à l’œcuménicité (avec les frères séparés), au dialogue inter-religieux (avec les musulmans et les juifs), aux assises de paix avec d’autres écoles de sagesse, notamment orientales (hindouisme, bouddhisme…), à l’accueil de témoins de l’agnosticisme contemporain (avec le pape actuel).
L’Université catholique d’Afrique centrale a vocation à être catholique. Il lui faudra sans doute, au fil des ans, prendre une conscience toujours plus claire de ce en quoi elle peut elle-même contribuer à la catholicité de l’Eglise dont elle entend se réclamer. Ce peut n’être pas sans un certain courage alors même que les tensions sont fortes dans cette Eglise qui va célébrer, elle aussi, à la fin de cette année, un cinquantenaire : celui de l’ouverture officielle en 1962 de ses travaux : trois années de débats difficiles, de disputationes, de conflits entre adversaires qui parfois le demeurent encore aujourd’hui. C’est que l’enjeu est bien celui de dire et de vivre en vérité la catholicité d’un Dieu que personne n’a jamais vu mais est le Dieu universel, de tous dans leur diversité, d’un Dieu qu’indique, signifie, montre et manifeste et dont témoigne un Homme qui s’en dit le Fils, mais inquiète son propre peuple et n’hésite pas à faire bon accueil au centurion romain, à la femme syro-phénicienne, au païen de Gedara, à la samaritaine, à évoquer le salut des gens de Ninive et de Sodome, au nom d’un Dieu plus grand !
Conclusion : Passer en faisant le bien… Message chrétien de sagesse…
L’Université au 21ème siècle, en Afrique comme ailleurs et partout dans le monde, est requise de contribuer plus particulièrement à la recherche de ce qui fait son unité malgré tout, peut l’aider à sa réconciliation et assurer sa paix. Au-delà de consensus toujours possibles aux divers plans technique, politique, éthique, c’est cependant de combats et de luttes d’ordre spirituel qu’il faut très probablement ouvrir des perspectives de controverse et de dialogue. Il y faut sans doute de la foi. Et je forme trois vœux pour votre Université.
Mon premier vœu pour l’UCAC est d’acquérir cette Foi. Quelle FOI ?… plutôt qu’en Dieu… ou en Jésus… ou en tous les articles qui parlent de l’un et de l’autre, …ou encore de l’Eglise en leur lieu et place… ne s’agirait-il pas plus simplement de la Foi dont Jésus lui-même parle et évoque les fruits quand il dit : ‘vous avez bien peu la foi. En vérité je vous le dis, si vous aviez la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à cette montagne : Bouge d’ici et va là-bas ! Et elle se déplacerait. Rien ne vous serait impossible.’ Mon premier vœu pour l’UCAC est donc d’acquérir cette Foi-là, celle dont Jésus lui-même a témoigné : il a appris à avoir la foi !
Mon deuxième vœu pour l’UCAC est qu’elle soit perçue avant tout comme un lieu de Foi dans la grande famille des universités : au-delà de la transmission de bien des savoirs, elle a plus encore la mission de dire ce qu’il convient de sentir des mouvements qui font plus réellement la vie, l’évolution, l’histoire des Hommes – l’important n’est pas d’en savoir beaucoup, mais de sentir et goûter les choses intérieurement’ – et d’agir alors selon de ce que l’intelligence, la mémoire et l’imagination peuvent inspirer à la volonté. Pour agir et donc pour combattre : la vie est un combat pour la vérité et la liberté…
Mon troisième vœu serait alors que, de l’Université en Afrique, naisse pour aujourd’hui une culture plus universelle encore que toutes celles qui l’ont précédée, au carrefour de l’inter-culturalité (et non de virtuelles inculturations), au nom d’un ‘Dieu’ plus grand et d’un Homme plus grand que ceux auxquels nous sommes trop souvent habitués et dont nous sommes si vite lassés ! Le christianisme est arrivé sans doute dans la saison de son hiver – en Occident plus particulièrement, serait-ce avec de beaux restes ! – mais c’est aussi le temps où son enfouissement prépare un printemps nouveau. L’Afrique, comme les autres nations, est
[1] Chine-Afrique : Le dragon et l’autruche, L’Harmattan, 2006. La Chine, dragon rugissant, étonne le monde du 21ème siècle, et l’Afrique, l’autruche impuissante à affronter ses défis, le désole. Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que leurs sorts respectifs soient si différents ? L’ouvrage, établit les causes de cette dissymétrie des deux destins, passe en revue leurs expériences au cours des 60 dernières années, et analyse leurs ressorts politiques, économique et sociaux actuels.
[2] Cf. le rapport du CERDOTOLA (Centre International de Recherche et de Documentation sur les Traditions et les Langues Africaines) pour 2009 : La culture africaine dans le monde globalisé du 21ème siècle, Yaoundé 2011.
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