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Enseignement du fait religieux, laïcité et dialogue interreligieux : regards croisés en France et en Afrique de l’Ouest.
Causerie du 21 juin 2019 organisée par l’Institut Afrique Monde
Intervenants :
- Docteur René NOUAILHAT, Professeur des universités, historien des religions, fondateur de l’Institut de Formation à l’Etude et l’Enseignement des Religions au Centre Universitaire Catholique de Bourgogne.
- Père Basil SOYOYE, Missionnaire nigérian de la Société des Missions Africaines (SMA) de Lyon, Directeur du Carrefour des Cultures Africaines. Missionnaire formateur et séminariste en Egypte, au Bénin et en France.
La causerie sur le fait religieux s’ouvre par quelques propos du professeur René Nouailhat sur les quelques différences de l’enseignement du faits religieux en Afrique de l’ouest et en France. Passionné par le phénomène religieux, le docteur Nouailhat a effectué ses recherches dans le cadre de sa thèse d’Etat sur les débuts du christianisme.
Il a ensuite surtout réfléchi aux problèmes de transmission. Le premier constat qu’il avait fait en arrivant à Kati (Mali) en tant qu’enseignant est le suivant : La pratique diffère de la théorie. Il comprend donc qu’il faut partir de ceux avec qui on parle, plutôt que du savoir savant. Ainsi, se mettre à la portée de ceux à qui l’on enseigne.
Quand il a commencé à enseigner en France, il ne trouvait rien dans les manuels de la richesse de l’enseignement religieux, cela n’était que partiellement retranscrit et simplifié. Effectivement, M. Nouailhat constatait qu’il n’y avait aucune information quant aux sources de la transmission de l’enseignement religieux. Par exemple : qui a écrit le Coran ? Pendant combien de temps ? Des interrogations qui restent sans réponse, pour lui, dans les manuels scolaires. Il y a également des religions qui ne sont pas abordées, tel que le judaïsme dont la première évocation ne se fait qu’au travers de l’affaire Dreyfus.
En tant qu’ancien chef d’établissement dans l’enseignement catholique, son intérêt se porte sur la transmission de ce savoir. Elle est défaillante dans les sciences, car elon lui la métaphysique irrigue la physique et devrait être présente dans une « histoire des sciences ». Même constat négatif dans les Lettres : Les prières faisant partie de la littérature, pourquoi ce parti pris d’exclure les religions dans l’étude des genres littéraires ?
Une mission officielle dans l’enseignement catholique lui est confiée par le Secrétariat général sur la question de l’enseignement du fait religieux. Il a aussi ouvert des voies nouvelles au Centre universitaire catholique de Bourgogne et les formations à l’enseignement du fait religieux qu’il y a créé ont fait l’objet d’une reconnaissance par le ministère de l’Education nationale pour délivrer un Master.
« Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus sinistrée«
Une impasse totale est faite sur l’enseignement du fait religieux en France selon lui. Le rapport de Régis Debray à ce propos, commandé par Jacques Lang, est maintenant obsolète et renié par les décisions des ministres de l’Education nationale. René Nouailhat dénonce ainsi un « lobbying du laïcisme » au sein de l’enseignement national. Critique qu’il détaille dans son livre « La Leçon de Malicornay ». Il arrive à la conclusion qu’il n’est pas facile aujourd’hui de parler de religion dans l’enseignement.
« L’enseignement du fait religieux est un défi »
Le constat effectué précédemment amène une autre interrogation : Pourquoi cela est-il si compliqué de parler de religion à l’école ? Aujourd’hui l’enseignement dispensé à l’école est un enseignement laïque, est-ce pour autant que le fait religieux ne doit pas être abordé ?
La genèse de la laïcité
« Il s’agit un mot dont on ne parle qu’avec fureur et fracas »
La laïcité est équivoque, on ne sait pas comment la situer. Le professeur Nouailhat estime qu’il s’agit là d’un terme qui est contradictoire, on l’utilise aussi bien de manière répressive ou de manière permissive. L’exemple de l’affaire de jeunes filles voilées à Epinal illustre ses propos, en 1989, lorsqu’elles sont apparues voilées, il a fallu accepter la situation au nom de la laïcité ou la refuser au nom de la laïcité. Il s’agit donc d’une notion clivante. Quid également de la suppression des crèches dans les mairies ? Les habitants des villes de Provence (avec la tradition des santons) ne partagent pas la volonté de supprimer ces dernières et s’étonnent des dernières décisions rendues par l’administration à ce propos.
Il existe deux façons d’écrire le mot « laïque ».
- Orthographié de la manière suivante : « Laïc » – renvoi au monde catholique, cela désigne quelqu’un qui n’est pas prêtre. C’est une laïcité de séparation (la séparation de l’ordre spirituel et de l’ordre temporel). Dans la République il s’agit d’une laïcité de séparation de l’Eglise et de l’Etat.
- Orthographié comme suit : Laïque – vient du grec laos qui désigne le peuple sans distinction, indépendamment des divisions. C’est ce qui a donné la laïcité au sens républicain du terme mais on est dans la laïcité d’intégration.
L’école est traversée par les deux laïcités. On y observe la séparation des domaines mais l’intégration de toutes les personnes. La laïcité à l’école va être compliquée car la combinaison de ces deux aspects de la laïcité crée une situation qui est ingérable pour les chefs d’établissement.
Pour comprendre la laïcité et sa relation avec le fait religieux, il serait judicieux de revenir sur la définition du terme « religion ». Il s’agit d’un héritage du monde latin où la religion n’était pas associée à la foi. Le mot foi vient du latin « fides » qui signifie s’en remettre à quelqu’un. La religion était une affaire civique à Rome. On ne parlait pas de conviction mais de foi car la religion avait une connotation neutre. Par la suite, ce terme a caractérisé le christianisme impérial.
Toutes les religions se vivent au pluriel mais se nomment au singulier. Les religions sont éparpillées, éclatées mais dans la manière dont on en parle, on rend peu visible cet aspect de la religion. De nos jours, il y a des réflexes identitaires et des fermetures qui conduisent à un durcissement.
Une fois ces différents termes définis, il convient de s’interroger sur la « dimension religieuse des faits », qu’entend-t-on par fait religieux ?
Pour René Nouailhat, l’expression « faits religieux », popularisée par le rapport de Régis Debray, était susceptible de rassurer les laïques mais il ne faut pas s’en tenir là. Les « faits religieux » ont une dimension religieuse qui empêche de se cantonner qu’aux faits, c’est-à-dire à du descriptif. Le sens vécu dans et par ces faits doit être pris en compte pour les comprendre.
La pédagogie scolaire est très compliquée, Il faut faire attention à la manière dont les faits sont relatés. Il y a une didactique du « fait religieux » qui doit se mettre en place en fonction des disciplines pour aider à développer un esprit critique.
Il y va des conditions d’appropriation du patrimoine religieux, un patrimoine qui appartient à tout le monde. Un questionnement ressort de ce développement : comment accueillir l’étranger si nous sommes étrangers à nous même ?
Après ces propos du professeur Nouailhat afin d’établir une vision plus claire du fait religieux et de son enseignement, c’est au tour du Père Basil de faire profiter l’audience de son expérience pratique. Le père Soyoye fait partie de la Société des Missions Africaines, il est également le directeur du Carrefour des Cultures Africaines basé à Lyon. Le Carrefour des Cultures Africaines est né de la volonté de prendre les valeurs africaines et d’essayer de les mettre en dialogue avec d’autres valeurs. Il nous présente les différents enjeux que soulève cette causerie.
La laïcité et le dialogue interreligieux ne se vivent pas de la même manière en Afrique qu’en France. Il existe 14 pays en Afrique qui intègrent le terme laïcité dans leurs constitutions (Mali, Sénégal, CI…). Qu’est-ce que cela signifie ? Il existe trois laïcités possibles :
- Celles des chercheurs, il s’agit de la séparation du religieux, spirituel, de la politique…)
- Celles des gouvernants, qui en font leur interprétation selon les circonstances
- Celle de la masse de la population, cette dernière catégorie ne sait pas réellement ce que ce que ce terme signifie.
Une remarque est posée par le père Soyoye, « Est-ce que dans les trois cas, ils adhèrent au principe de la laïcité ? Il y a des circonstances qui ne permettent pas de clarifier la question ».
Il constate que dans le monde anglo-saxon en Afrique, il n’y a pas réellement d’équivalent pour traduire le mot laïc. On parle d’état « séculiers » comme c’est le cas au Nigéria. On essaie alors de maintenir une proportion équitable entre les différentes religions. C’est-à-dire que l’Etat subventionne les pèlerinages toutes religions confondues, un citoyen qui voudra se rendre à la Mecque est tout aussi susceptible de voir son pèlerinage financé qu’un autre qui voudra se rendre à Jérusalem par exemple. En observant ce phénomène qui a lieu dans ces Etats africains, on autre constat s’impose lors de cette causerie : il ne s’agit pas de la conception laïque/Laïc retrouvée en France.
La foi enseignée dans l’enseignement privé de manière générale
En continuant avec l’exemple des Etats anglo-saxons en Afrique de l’ouest, le Nigéria étant l’exemple le plus marquant : Du primaire jusqu’à l’université, une orientation de foi est maintenue, les grandes églises évangéliques ont de grandes écoles. Chez les Nigérians, la foi est enseignée à l’université et tous les étudiants doivent assister aux enseignements dispensés à ce propos. La liberté réside dans le choix : toute personne peut choisir de se rendre dans cette école ou non. Cependant, cette grande liberté de choix a donné la possibilité aux extrémistes d’avoir leur école et d’installer leurs croyances durablement. Ce qui a eu pour conséquence de complexifier le dialogue interreligieux au Nigéria.
La création de « Boko Haram » découle de cette vision libérale de l’enseignement religieux. Son fondateur Mohamed Youssouf a commencé comme enseignant dans une école coranique. Une partie de la population, consciente des dérives de l’enseignement étatique, (selon eux les hommes d’états corrompus et peu vertueux sont le produit même de cet enseignement) a vu une alternative dans cette nouvelle approche religieuse. Ainsi, ils pensaient assurer l’avenir de leurs enfants dans une dimension d’intégrité. L’un des facteurs qui a encouragé l’adhésion à cette « école » fut la sureté et le bien être garanti à leurs descendance. Après la mort de Youssouf, le groupe a été fragilisé ce qui a laissé la porte ouverte à d’autres influences et dérives. Les fondateurs de Boko Harram ne sont plus, les principes qui ont conduit à la fondation de cette école ont définitivement disparu.
Le second défi pour le Père Soyoye, quand on parle de religion, est de la présenter d’une façon qu’elle soit respectée et appréciée par l’autre. Le Carrefour des cultures africaines (CCA) a eu l’occasion de mener une réflexion à ce propos. Il faut alors retourner dans les valeurs de la culture et de la religion traditionnelle pour trouver des éléments qui peuvent aider à présenter les religions d’une manière acceptable. Les religions et la sociologie de l’Afrique ne sont pas une historie d’hostilité des croyances religieuses.
Pour lui, l’Afrique se situe encore à l’étape de la construction de l’Etat-Nation, il ne s’agit pas encore d’un acquis. A la moindre des difficultés cela se reflète à travers la manière dont la Religion est perçue. L’homme africain n’a aucune difficulté à avoir un être suprême à qui il fait référence. Il respecte beaucoup les ancêtres et n’a pas de difficulté avec le concept de « role model », il n’est pas intimidé, il sait jusqu’où aller avec l’ancêtre. C’est alors qu’il faut également développer l’approche de role model des personnes africaines qui ont vécu dans la rencontre et l’ouverture des autres croyances. On peut parler de Léopold Sédar Senghor et son engagement dans la rencontre des croyances. Ex : Au Nigéria, la divinité de l’eau Oshun est considéré comme un role model. Ces « role model » sont une source de paix.
Échanges de point de vue et de perspectives
Un membre du public effectue une comparaison entre l’Afrique et la France dans l’enseignement du fait religieux. Par opposition, en Afrique l’état ne combat pas le fait religieux et essaie d’organiser la coexistence. On voudrait que la religion soit privée et ça n’a pas de sens car le culte est public.
Une autre remarque intervient, la religion est une grande question pour l’homme. Au lieu de la traiter par les questions humaines qu’elle pose, la religion est traitée comme un problème. Alors comment en parler in fine ?
Le professeur Nouailhat propose quelques pistes qu’il avait déjà évoquées un peu plus tôt : On a trouvé l’expression « faits religieux » pour réintroduire la religion sans le dire clairement. Il faudrait aussi traiter des religions en tant que telles : mais à qui confier la mission d’en parler ? En Alsace Moselle, il y a des cours de religions par des gens formés par l’Etat (qui délivre des diplômes) mais on ne retrouve rien de similaire dans le reste de la France. En traiter hors de l’école laisse place à tous les charlatans, car il t a des personnes qui profitent de l’ignorance pour instrumentaliser les religions. D’antan, l’Eglise catholique offrait une sorte de service public à ce propos (les enfants étaient dispensés de cours le jeudi pour pouvoir aller au catéchisme). Le déficit de formation en matière religieuse a des conséquences graves pour le « vivre ensemble ».
Madame Denise Lemann en profite pour rebondir sur ces paroles et faire part de son expérience. Elle confie à l’assemblée que dans les écoles catholiques, on parle de la foi, de la spiritualité pour ne pas effrayer le monde (la peur de la manipulation est très présente). Il faut que les gens s’approprient le fait religieux à partir de leurs quêtes. Elle propose la piste suivante pour l’Afrique, selon elle, une manière d’aborder le fait religieux sur le continent serait de faire une lecture spirituelle des écritures au lieu de les prendre de manière scientifique. Elle estime que les gens ont parfois un peu peur du scientifique. On pourrait alors combiner les deux et avoir un peu le choix. En Amérique Latine cette foi vivante est importante, cette conviction profonde que Dieu est là est omniprésente.
C’est l’occasion pour madame Bardette Monette, travaillant dans l’enseignement publique de faire un témoignage lié à son expérience. Elle déplore l’inexactitude de certains propos enseignants lorsqu’ils parlent de religions aux élèves, cela fait écho aux propos du professeur Nouailhat lors de la présentation de l’enseignement du fait religieux à l’école. De plus, elle déplore le fait de ne pas pouvoir corriger ces propos car cela serait aller à l’encontre de l’autorité de l’enseignant. C’est pour cela qu’elle craint que les élèves finissent par développer une « cathophobie » en France. Selon elle, la France pourrait s’inspirer du Canada où l’enseignement du fait religieux est abondant, afin de « se réconcilier avec son héritage religieux ».
Une proposition de comparaison intéressante avec la Chine est proposée par madame Hong Bing Yang, membre de l’IAM, permettant d’enrichir les différentes perspectives sur la question. En Chine, on ne parle pas de la religion. Master Chin Kung disait à ce propos « le terme religion, il ne faut pas le mystifier, en Chine cela signifie l’enseignement fondamental de la vie ». Une interrogation surgit alors : est-ce que cela simplifie l’enseignement de la religion dans les écoles ? Aucune réponse n’est apportée à cette interrogation qui reste ouverte à la réflexion. Hong Bing Yang suggère qu’une « démystification du mot » faciliterait l’enseignement de celle-ci. Nos deux intervenants restent dubitatifs quant à cette solution. Pour eux il existe plusieurs voies dans cet enseignement fondamental.
La question de l’hyper développement des sciences en occident comme obstacle à la religion est posée : « a-t-il fait croire qu’on peut créer son Dieu ? Un membre du public suggère un « réarmement pour qu’on puisse parler ouvertement de religion ».
Sont alors abordés les différents autres modèles qui existent dans l’enseignement du fait religieux et la possibilité de les importer en France et en Afrique. L’exemple de la Havard divinity school « world religion » qui fait l’objet d’un encadrement jésuite est apporté. Cette école réalise des recherches sur toutes les religions qui ont une bonne réputation. Pourquoi ne pas importer ce modèle ? Denise Lemann, enseignante, propose la création d’un centre international qui effectuerait la même chose et non juste l’importation de ce modèle en France où la question de l’enseignement religieux reste assez délicate.
Propos conclusifs
Afin de conclure et de rebondir sur les dernières contributions du public, le Père Basil Soyoye nous fait part de son engagement dans la formation des jeunes africains aux respects des croyances. Selon lui, le plus grand danger des religions et de la laïcité en Afrique sont les politiques et la lutte contre l’intégrisme. Il y a le modèle français laïque mais il en existe d’autres dont les africains peuvent s’inspirer. La laïcité tel que conçue par la France s’explique par le contexte des choses, ce qui rend son exportation ailleurs difficile.
Synthèse rédigée par Mme Diaby Aminata
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