Nous venons, dans les précédents billets, de traverser plusieurs topos et d’identifier les situations à partir desquelles les différentes traditions religieuses émergent, s’opérant nécessairement des comparaisons. La pensée de l’Ancestreïté obéit à une logique plurielle et apporte ainsi une solution à deux difficultés intrinsèques au pluralisme religieux : les relations entre l’homme et les puissances de l’invisible (ancêtres et esprits) dans l’intérêt de la communauté, et à les relations à d’autres traditions religieuses.
Au moment où une partie de la mémoire de l’humanité disparaît chaque jour sous les coups de pioches des intégristes en Irak et au moment où le coeur de Bamako est frapé par le terrorisme, ce billet d’Emile Batamak propose une démonstration physico-théologique de l’existence d’un Être premier par les merveilles de la nature.
Il souligne les relations historiques de toutes les religions avec les sociétés qui les ont vu naître ; ces relations sont confirmées par les limites d’expansion des grandes religions révélées, qui n’ont jamais pu empiéter de façon décisive sur leurs domaines réciproques.
En Afrique, avant la pénétration de l’islam et du christianisme, chaque société développait son propre système d’interprétation du monde en fonction des données qui lui étaient particulières. D’où la très grande variété des religions et des dieux renvoyant à la diversité des sociétés elles mêmes. On note cependant que l’universalité du problème de la survie de l’individu et du groupe, et les similarités objectives de l’environnement, à l’intérieur de grandes zones, géographiques et climatiques, impliquent, à un niveau très général, des caractéristiques communes.
La commensurabilité des religions est en effet un problème central pour le pluralisme décomplexé. Mises en pratique par un effort authentique pour traverser respectivement le topos (vison du monde propre à la société) et le logos (intelligibilité) d’une société, elles visent à en comprendre la matrice culturelle et ainsi s’approcher du phénomène religieux. On peut cependant voir dans le génie de l’Ancestreïté, un curieux Janus, monstre hybride, fait de contradictions et de chimère. D’où la pertinence de notre programme expérimental du pluralisme religieux qui devraient nous permettre d’élaborer un programme opérationnel et une boites à outils de « déradicalisation » et de cohésion sociale en Afrique, une façon de revisiter et revivifier la Charte du Mandé.
Tel sera l’objet de notre prochaine conférence, le 16 mars, en partenariat avec l’Institut Mandela. Elle se singularisera par la parole qui constitue l’ossature de l’Ancestreïté.
Le phénomène religieux en Afrique Noire : l’Ancestreïté ou le culte des ancêtres
« La pensée de presque tous les peuples anciens repose sur l’idée d’un système universel de correspondances en tous les domaines : de la nature, du surnaturel, du physiologique et du psychologique humain » nous dit Mayerson dans son ouvrage Les fonctions psychologiques et les œuvres. D’où les rapprochements parfois inattendus entre le sujet et l’objet, l’homme et la nature, l’individuel et le collectif. D’où la place prépondérante accordée à l’acte communiel qui constitue l’essence du fait religieux dont le sacrifice, illustration le plus typique de l’interaction universelle des forces, offre le plus pur exemple.
En second lieu, une certaine conception de l’homme, cœur de la création (En Afrique Noire, c’est l’homme qui est l’absolu : « l’homme apparaît comme la valeur fondamentale, comme la valeur première, celle autour de laquelle s’érigent toutes les valeurs, celle autour de laquelle gravitent tous les problèmes »), raccourci de l’univers, principe de liaison qui assure la continuité du phyllum social (Louis-Vincent Thomas ). Car, ne l’oublions pas, cet être privilégié n’est que l’instrument docile de la lignée, incarné dans un temps qui se répète, le temps primordial dont parle Mircea Eliade par opposition au temps phénoménal vécu.
Révélation de la Parole
À travers les éléments qui précèdent, nous résumons pour ainsi dire les principes constitutifs des religions africaines qui sont des cultes que l’on rend aux ancêtres. Ces « Ancestreïtés » ont pour fondement la Parole révélée qui relate d’une façon voilée la création du monde, les événements mythiques qui précèdent les hommes sur la terre, tout comme ceux qui retracent la vie des premiers hommes et l’apparition de la mort. Cette Parole est celle d’un Dieu unique, « créateur ou potier du monde » « qui n’est pas un être, c’est-à-dire une essence, parce qu’il est éternel » [A. Kagame]. Il est entre autres attributs, comme le souligne le philosophe Robert Ndebi Biya, « celui qui, à l’origine, féconde et engendre. Il est le principe même de la génération ».
Le culte des ancêtres honore l’âme du Dieu unique, premier ancêtre mort en général en se métamorphosant sous la forme d’un animal. L’objet de ce culte est apparemment double, mais en réalité unique dans l’esprit des hommes : « ils honorent à la fois l’ancêtre ressuscité et la terre ressuscitante qui, depuis les origines, a nourri la tribu initiale, terre dont ils doivent se concilier la puissance bénéfique. Son but est aussi d’honorer et de rendre propice aux vivants les âmes des ancêtres immortels qui vivaient dans les temps mythiques avant l’apparition de la mort » (D. Zahan).
Univers de la Parole
L’Ancestreïté est un univers de la Parole qui recouvre le domaine complexe des concepts, symboles qui constituent l’aspect de la face visible et invisible de la Parole. Au cœur de cette univers de la Parole, l’initié « s’efforce de faire toucher du doigt le surnaturel véhiculé par cette Parole, pourtant à aucun moment, il ne lui vient dans son discours de quitter la société dans sa quotidienneté, faite de naissance, de mariage, de décès, de palabres, de maladies et de séances de médication, d’exorcisme, de rites divers. Tout simplement il veut nous faire appréhender toutes les réalisations concrètes de la Parole. Cette Parole est d’autant plus vivante qu’elle concerne minéraux, animaux, végétaux, la nature globale, puis elle se réalise plus par le vécu de l’homme que par le seul projet qu’elle reflète » (P. Dika Akwa). De manière générale, l’univers de la Parole recueille la Parole confiée par le Dieu créateur aux dieux esprits dans toute son amplitude, « quiconque voudrait y pénétrer doit se prémunir de la Parole (Hop) et de la [« lumière »], deux préalables sans lesquels il n’y a point de communication avec les autres réalités » [id.].
Rôle des « fétiches » dans les rituels d’Ancestréïté
Les rituels d’Ancestreïté s’occupent peu des bons esprits, parce qu’à l’évidence, ils procurent le bien à l’homme; les mauvais esprits les préoccupent davantage, raison pour laquelle l’on met plus d’efforts à les conjurer de se tenir en paix. D’où la présence de ce que l’on nomme arbitrairement des fétiches [« il importe, nous dit l’Abbé Bouche, que l’on fasse dériver le mot fétiche de fictitius, qui signifie artificiel, imaginaire ou de fatum (destin) »]. Alors qu’en réalité nous dit M. Alapini au sujet des Nago du Bénin, Oricha (fétiche) a pour sens celui qui mérite (ou qui convient, qui est en droit ou habilité à mener une opération ou une action); qui voit le culte (ou qui est la divinité adéquat, qui est dans son domaine réservé, à l’exemple du dieu de la fécondité qui est inadapté à faire autre chose).Car à la différence du Dieu créateur qui ne sait faire que du bien, insensible parce que tout puissant, Oricha (ou dieux esprit) est celui qui « voit le culte », qui réprimande, qui punit. Cette redéfinition du fétiche nous invite donc à voir les rituels d’Ancestreïté comme des séances d’exorcisme religieux dont l’efficace repose en grande partie dans la division du travail, entre celui du Dieu créateur (premier ancêtre immortel), rôle qui lui est dévolu, et ses descendants (dieux esprits) à qui il confia la mission de soigner, faire proliférer et réparer le monde dans toutes ses composantes.
La fonction des langues dans l’Ancestreïté
Par-delà les aspects sans doute hermétique et ésotérique de la langue des rituels, la langue est avant tout un élément d’acculturation et d’unité nationale. C’est la raison pour laquelle l’Ancestreïté a travaillé à la fixation des langues qui portent les discours religieux. Au XXe siècle l’expansion de ces langues s’est produite accidentellement grâce à la traduction de la Bible en langues nationales à l’exemple du : Bulu, Ewe, Duala, Kinyarwanda, Bassa… où les idées religieuses expriment des entités divines qui trouvent leurs origines dans l’Ancestreïté telles que « Nyambe, Zambe ou Nyama, l’Être Suprême des Bantu reconnu comme le Créateur de l’Univers, Générateur des hommes et de tous les autres êtres » (P. Bahoken). Cette inculturation par le biais de la traduction dans les langues africaines a permis également l’épanouissement de la personnalité spirituelle africaine. Ces traductions ont également eu pour intérêt de systématiser ses conceptions religieuses et philosophiques qui relatent aussi les premiers contacts des missionnaires avec les africains.
Cette modeste introduction est une invite à la (re)découverte de l’Ancestreïté comme expérience religieuse, possibilité de connaissance et de la reconnaissance mutuelle. Afin de parvenir au renouvellement des épistémologies religieuses et de la philosophie de la culture; des préalables à la composition symphonique d’un véritable dialogue inter-religieux, d’une espérance nouvelle.
Émile Moselly Batamack
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