Aujourd’hui, je consacre cette Lettre n°2 à l’approche du pluralisme religieux par les membres de ce continent spirituel ayant, depuis une cinquantaine d’années, et plus précisément le Concile Vatican II, profondément renouvelé son approche des relations inter-religieuses, tant par ses membres eux-mêmes qui en sont des témoins vivants – de la base au sommet de la hiérarchie de l’institution – que par les documents qui s’efforcent d’en dire l’esprit dans ses multiples approches.
La Lettre présente de manière succincte l’histoire et l’évolution de la tradition chrétienne dans le monde, des origines jusqu’à aujourd’hui, et vous trouverez en annexe les principaux extraits de l’allocution que Joseph Ratzinger, au nom du Saint-Siège catholique, a prononcée à Assise, le 27 octobre 2011, à ses ‘Chers frères et sœurs, Responsables et Représentants des Églises et des Communautés ecclésiales et des Religions du monde, Chers amis‘.
Trop habitués parfois à la tradition chrétienne qui nous a été enseignée dans notre enfance et a formé nos comportements de fidèles sans trop de critiques de notre part, nous ne sommes pas toujours assez sensibles à ce qui a pu affecter cette histoire de deux millénaires qui pourtant, mieux comprise, serait susceptible de nous aider à entrer dans une opportune intelligence des défis à relever au 21ème siècle en matière de pluralisme religieux.
Si l’on se souvient bien évidemment que Jésus de Nazareth a payé le prix fort de ses engagements au sein de ses coreligionnaires sous occupation romaine, que beaucoup de ses disciples ont connu le même sort et que ce sont bel et bien de nombreux ‘martyrs’ qui furent, pendant les trois premiers siècles, des semences de l’Eglise (sanguis martyrum semen christianorum), il est bon de se rappeler qu’à partir de 313 la liberté de religion fut établie dans l’empire par l’empereur Constantin : l’édit de Milan, dit de tolérance, dispose que chacun peut ‘adorer à sa manière la divinité qui se trouve dans le ciel’ et accorde la liberté de culte à toutes les religions, permettant aux chrétiens de ne plus devoir vénérer l’empereur comme un dieu. Le 17ème centenaire de cet édit fut célébré très solennellement en 2013 à Milan, Rome et Istanbul (ancienne Constantinople). Et pendant 67 ans, sous ce régime de distinction des domaines de ‘Dieu’ et de César, les chrétiens, peu nombreux au départ, purent se multiplier librement.
67 années plus tard, en 380, les avancées des ‘barbares’ menaçant l’empire, l’empereur Théodose pro-clame l’édit dit de Thessalonique prescrivant que : Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre, celle que reconnaissent le pontife Damase et Pierre, l’évêque d’Alexandrie, c’est-à-dire la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. La foi catholique trinitaire, telle qu’elle avait été définie par le Concile de Nicée, triomphait désormais sur l’arianisme, qui allait être condamné une nouvelle fois par le 1er concile œcuménique de Constantinople (381). Ancien haut fonctionnaire de l’empire, devenu évêque de Milan, Ambroise travaille activement à l’union du trône et de l’autel pour la sauvegarde de l’empire, l’évangélisation des populations, la croissance de l’Eglise : c’est le début du régime de césaro-papisme qui va régir l’Europe pendant 14 siècles – jusqu’à ce qu’en 1795 la Révolution française, au nom de la liberté, abolisse l’alliance du trône et de l’autel.
Mais pendant ces quatorze siècles ce ne sera assurément plus la liberté religieuse qui sera assurée, mais au contraire le christianisme qui sera imposé à l’ensemble de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. Clovis en sera l’un des agents, parmi d’autres, en se faisant baptiser en 499 après tout un temps de réticence, et faisant baptiser collectivement 3000 de ses hommes. Le christianisme devient une idéologie imposée, le contenu en est fixé par les Pères de l’Eglise et l’autorité confortée par le pouvoir des Princes : l’idéal à atteindre sera défini dans le cadre d’une société holiste : un peuple, un roi, une foi, une loi, qui soit aussi chrétienne : société chrétienne, société parfaite. Et, quelles que soient les difficultés que l’Eglise
peut en fait rencontrer pour exercer son monopole, elle y parvient par l’exclusion des hérétiques : ‘En ce qui concerne les hérétiques, il y a deux choses à considérer. De leur côté assurément, il y a un péché par lequel ils ont mérité non seulement d’être séparés de l’Eglise par l’excommunication, mais aussi d’être séparés du monde par la mort. Il est en effet beaucoup plus grave de corrompre la Foi qui assure la vie de l’âme que de falsifier la monnaie qui permet de subvenir à la vie temporelle. Par conséquent si les faux-monnayeurs sont immédiatement mis à mort en bonne justice par les principes séculiers, bien davantage les hérétiques, aussitôt qu’ils sont convaincus d’hérésie, pourront-ils être non pas seulement excommuniés mais très justement mis à mort. Du côté de l’Eglise au contraire, il y a une miséricorde en vue de la conversion de ceux qui sont dans l’erreur. C’est pourquoi elle ne condamne pas tout de suite…, mais s’il se trouve que l’hérétique s’obstine encore, l’Eglise pourvoit au salut des autres en le séparant d’elle par une sentence d’excommunication, et ultérieurement elle l’abandonne au jugement séculier pour qu’il soit retranché du monde par la mort.’ (Thomas d’Aquin, Somme Théologique, 1266-1279). Le tribunal de l’Inquisition est organisé à ces fins. Hors de l’Eglise, pas de salut…
L’impérialisme religieux chrétien sera certes toujours contesté au long des siècles par ceux qui en sont les agents, princes temporels – empereurs germaniques (Henri IV), rois de France ou d’Angleterre (Philippe IV le Bel, Henri VIII) par exemple – ou esprits rebelles parmi les clercs (Luther, Calvin…). Les Lumières remettent bien en cause la charte fondamentale de l’alliance de ‘Dieu’ et de César dès le 18ème siècle mais il faudra attendre le 20ème siècle pour en voir le fait accepté par l’Eglise, en particulier catholique. En 1791, le pape Pie VI s’insurge contre la déclaration des droits de l’homme et la constitution civile du clergé dont « l’effet est d’anéantir la religion catholique, et avec elle l’obéissance due aux rois. C’est dans cette vue qu’on établit, comme un droit de l’homme en société, cette liberté absolue qui non seulement assure le droit de ne pas être inquiété sur ses opinions religieuses, mais qui accorde cette licence de penser, de dire, d’écrire et même de faire imprimer en matière de religion tout ce que peut suggérer l’imagination la plus déréglée : droit monstrueux… » (Bref Quod aliquantum). Tout au long du 19ème siècle, prévaudront les « droits de Dieu » : il faut attendre Jean XXIII pour que soient reconnus en 1963 droits et obligations de l’Homme (Pacem in terris), et que le Concile Vatican II adopte en 1965 une déclaration reconnaissant la liberté religieuse : « La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l’objet d’une conscience toujours plus vive; toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l’homme la possibilité d’agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité ; non pas sous la pression d’une contrainte, mais guidé par la conscience de son devoir… Cette exigence de liberté dans la société humaine regarde principalement les biens spirituels de l’homme, et, au premier chef, ce qui concerne le libre exercice de la religion dans la société. » (Dignitatis humanae).
Ce renouvèlement d’intelligence des libertés civiques des citoyens en engendre un autre : au sujet des religions autres que chrétiennes, Vatican II produit un dernier texte, Nosta aetate, en décembre 1965 : « À notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples se multiplient, l’Église examine plus attentivement quelles sont ses relations avec les religions non chrétiennes… Elle examine ici d’abord ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée. Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout le genre humain sur toute la face de la terre; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous, jusqu’à ce que les élus soient réunis dans la Cité sainte, que la gloire de Dieu illuminera et où tous les peuples marcheront à sa lumière. Les hommes attendent des diverses religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujourd’hui, agitent profondément le cœur humain : Qu’est-ce que l’homme? Quel est le sens et le but de la vie? Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le péché? Quels sont l’origine et le but de la souffrance? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur? Qu’est-ce que la mort, le jugement et la rétribution après la mort ? Qu’est-ce enfin que le mystère dernier et ineffable qui embrasse notre existence, d’où nous tirons notre origine et vers lequel nous tendons ? » En 1986 Karol Wojtyla (Jean-Paul II) réunira une première fois les représentants de toutes les religions à Assise, et Joseph Ratzinger (Benoît XVI) le fait une seconde fois en 2011 – voir en annexe des extraits son allocution.
En annexe, on lira aussi les recommandations que Jorge Bergoglio (actuel pape François) a faites aux membres du Conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux dont le président vient d’être désigné, de manière significative, ‘camerlingue’ de l’Eglise, chargé notamment d’assurer l’intérim après la mort ou la démission du pape…
Denis Maugenest
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