Les paragraphes 13, 25, 27 et 28 du Manifeste du Cinquantenaire des indépendances africaines font état de la place prépondérante devant être assignée à la diplomatie culturelle au sein des États africains[1], du rôle éminent de la diaspora[2], de la nécessaire contribution de la voix de l’Afrique aux questions écologiques[3], de la redynamisation des langues africaines comme vecteurs de transmission de savoirs endogènes par l’usage des nouvelles technologies[4].
La Charte de la Renaissance africaine insiste sur le devoir d’inventaire de la culture immatérielle du continent africain ainsi que sur les fondements historiques de la pensée africaine[5]. Le texte reprend à son compte la transmission des savoirs par les technologies contemporaines en support des langues africaines (Titre 4)[1], énonce les principes fondamentaux des politiques culturelles à mettre en œuvre[2]ainsi que la force positive des phénomènes migratoires[3].
La Charte de l’institut Afrique Monde a pour ambition d’enrichir par un éclairage légitime, fondé, entre autres, sur des réalités historiques la vision parfois erronée dont le monde se fait de l’Afrique. Par la formulation de propositions débouchant sur des solutions concrètes, l’énonciation de possibilités n’entraînant pas d’antagonisme dans le cadre des textes de L’Union Africaine, le pôle « sociétés et cultures », s’inscrit dans cet objectif de refondation et/ou de déconstruction du discours récurrent à tendance « afro pessimiste ».
Il s’agira de mettre en exergue les apports essentiels de ce continent aux problématiques contemporaines auxquelles notre monde est confronté, d’opérer un bilan sur l’effectivité des décisions de l’UA auprès des gouvernements signataires, d’examiner les failles à combler, les succès aussi, en prenant en compte les processus régionaux et locaux, les initiatives individuelles et collectives. Ce que nous pouvons d’ores et déjà admettre comme acquis est l’adoption de ces textes et déclarations de principe qui ont le mérite d’exister et de fixer un cadre quant aux enjeux prioritaires du continent africain.
II. Problématique
Une problématique pourrait s’articuler autour de trois verbes : « apprendre, connaître, pouvoir ». En effet, l’on ne pourrait agir qu’en connaissance de cause !
Le terreau culturel africain est fertile. La source d’appauvrissement du continent résulterait, en partie de l’altération de ce terreau. Comment trouver les voies d’impulsion pour conduire nos stratégies de développement endogènes par la mise en place de nouveaux modèles économiques et pédagogiques.
Des siècles d’érudition, de science, de culture, s’effacent par la méconnaissance, l’interprétation inexacte, la disparition d’un mot, d’un signe, d’une technique, d’un concept utile. Ainsi, l’apport de l’Afrique dans la médecine, dans l’éducation, dans l’écologie mériterait d’être mieux connu, plus approfondi. Ne doit-on pas préserver ce qui est indispensable à notre survie commune ?
Comment préserver ces acquis, ces connaissances, ces compétences, les valoriser, les intégrer comme outils d’instruction et de construction de la personne en direction d’une population extrêmement jeune[4] donc créative et dynamique ?
Comment accéder à l’information et à la culture, aux savoirs et ses apports bénéfiques de façon concrète ? Quels sont les vecteurs de transmission dont doit se doter l’Afrique pour ce faire?
Il est admis que « l’homme est au centre de la problématique et non l’objet », emblématique de la culture matérielle. L’absence des « objets – support » suffit-elle à justifier la faille dans la transmission? La question ainsi posée semble biaisée si nous admettons ne pas nous situer dans une culture du primat de l’objet.
III. Enjeux prioritaires :
Il s’agit de se projeter dans une prospective culturelle et une réflexion sur la gestion stratégique du développement.
1. Les migrations africaines, intra-africaines : migrations positives ?
Les sociétés africaines sont, par essence, multiculturelles. La migration ne vaut pas rupture mais est perçu dans une acception de flux et de fluctuation. Qu’en est-il de cette identité contemporaine, hybride, en perpétuel mouvement, forte d’emprunts et de refondations, élaborée sur le fondement d’une parole aux origines multiples, ayant la multi appartenance comme socle où la question du carrefour est plus à poser que celle de l’origine, où le collectif, lieu de partage, d’ouverture, d’alliage et d’alliance possible diffère du communautarisme ?
2. Les nouvelles formes d’expressions culturelles :
Valoriser les productions culturelles en prenant acte du développement des technologies nouvelles de la communication et de l’information, la numérisation des savoirs, la communauté virtuelle, le cyber-espace (ex :BLAIR chronicleworld.).
3. La résistance à la négativité linguistique :
En effet, le devoir de vigilance sur l’usage des mots emblématiques et leur subversion n’est pas vain. Le continent pâtit de l’impact du lexique, d’un champ sémantique « négatif », ce, jusque dans les lieux de diffusion du savoir. Le vocabulaire n’est pas sans incidence sur le regard qu’ont les africains sur eux-mêmes qui, parfois finissent par s’identifier à ceux qui les définissent. Rafraîchir les mots, pointer la pertinence des langages chargés d’exprimer une réalité complexe pourrait être un des axes de recherche.
4. Le patrimoine immatériel et les institutions culturelles :
Opérer une sélection de systèmes éducatifs qui intègrent les valeurs africaines à portée universelle (systèmes de formation tels les groupes d’initiation dans les sociétés traditionnelles, les jeux éducatifs, les contes), soutenir les entreprises de vulgarisation de ce patrimoine immatériel[5] avec comme préoccupation de ne pas tomber dans la ségrégation folklorique.
5. L’Afrique écologique
Comment l’Afrique peut-elle contribuer au défi écologique à travers la transmission de valeurs ancestrales appropriées ? Le propos n’est pas de trouver toutes les solutions dans les sociétés traditionnelles mais de faire prendre conscience que l’écologie fait partie intrinsèque de la culture de ces populations de plus en plus urbanisées. Cela ne règlera pas les conséquences néfastes de l’agissement séculaire de l’Homme sur son environnement, cela n’endiguera pas directement la question des réfugiés climatiques mais aurait au moins pour conséquence de faire admettre la nécessité d’une recherche de solutions locales. Il revient, par la suite, aux instances internationales, aux Etats souverains, aux politiques régionales, dans leur ensemble, de prendre les mesures d’accompagnement nécessaires, en s’appuyant certes sur les nouvelles données scientifiques et économiques mais surtout sur le bon sens, l’expérience et la sagesse humaine (une et indivisible) d’où qu’elle vienne.
7. Le trafic illicite des biens culturels
Avec les trafics de drogues et d’armes, le marché noir des antiquités et de la culture constitue l’un des commerces illicites les plus ancrés de la planète. Aussi, au cours des guerres et conflits armés, les objets sont mis en danger (Mali, Zaïre, Egypte)
Une étude menée par la chambre des communes du Royaume-Uni en juillet 2000 estimait que le trafic illicite d’antiquités représentait 6 milliards de dollars par an (F. ISman, I predatori dell’arte perduta, il saccheggio dell’archeologia italia, Milan, 2009, p.29). Dix ans plus tard, le rapport de l’ONU sur le crime transnational estimait le trafic mondial de la cocaïne à 72 milliards de dollars, le trafic d’armes à 52 milliards de dollars, celui de l’héroïne à 33 milliards de dollars, la contrefaçon à 8 milliards de dollars et la cybercriminalité à 28 milliards de dollars (UNODC, office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Vienne, rapport annuel 2010).
Une autre étude a estimé que le trafic illicite de biens culturels représentait au moins 2 milliard de dollars par an (G. Norman, Great sale of century, « the Independant », 24.11.1990).
D’après d’autres sources, les ventes mondiales de biens culturels, légales ou non, auraient atteint 39,3 milliards de dollar en 1993. Aujourd’hui, ce chiffre serait de 60 milliards de dollars, ce qui représente une hausse de 50% en 10 ans et une croissance sans précédent de l’offre sur internet (C. Forrest, International law and the protection of cultural Heritage, New York, 2010).
D’après les enquêtes menées sur le trafic illicite d’œuvres d’art dans le monde, on estime « que les intermédiaires empochent 98% du prix de marché final des objets vendus ». On estime qu’entre le départ des fouilles clandestines et la vente finale, la valeur des plus belles œuvres d’art est multipliée par cent, ce qui représente une haussée de prix plus élevée que la drogue.
Selon Alain Godonou, ancien directeur de l’école du patrimoine africain et actuel directeur de la division des objets culturels et du patrimoine immatériel de l’Unesco, la plupart des pays africains ont perdu 95% de leurs biens culturels.
En se penchant sur les expositions des collections majeures, des chercheurs ont déterminé que 70% des objets exposés étaient décrits « de manière vague ».
La nécessité à la fin des années soixante de mettre en place des outils juridiques de lutte contre le trafic illicite des biens culturels s’est traduite par la création d’instruments juridiques internationaux dont le plus ancien est la Convention de l’UNESCO de 1970. D’autres instruments juridiques vont se mettre en place suivi de codes éthiques. Des organisations intergouvernementales et non gouvernementales seront des appuis non négligeables pour lutter contre ce fléau. Pour autant, malgré tout cet arsenal, le trafic ne décroît que faiblement. Il semble alors évident que les solutions sont à chercher ailleurs que dans le traitement juridique de ce phénomène sensible qui mêle à la fois la mémoire des peuples et la notion de marchandise.
La Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation et le transfert de propriété illicites de biens culturels est le premier cadre juridique international pour la lutte contre le trafic illicite de biens culturels en temps de paix. Elle compte aujourd’hui 120 Etats partie.
La convention n’est applicable qu’aux objets culturels volés ou exportés illicitement d’un Etat partie vers un autre Etat partie après la date d’entrée en vigueur pour les deux Etats concernés. L’art 1er et l’art 4 de la convention donnent une définition large des biens culturels. Cependant, les biens doivent être désignés par l’Etat comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science.
Les États partie doivent adopter des mesures de protection sur leur territoire (art 5) par l’élaboration d’une législation nationale appropriée et des codes de conduite à l’intention du marché de l’art, l’établissement des services nationaux pour la protection du patrimoine culturel, le développement des programmes éducatifs afin de sensibiliser au respect du patrimoine culturel. Quid de l’effectivité de ces dispositions au sein des Etats africains ?
Nakhana Diakhité Prats
[1] « Qu’il est urgent d’assurer la promotion des langues africaines, vecteurs et véhicules du patrimoine culturel matériel et immatériel dans ce qu’il a de plus authentique et d’essentiellement populaire, mais aussi en tant que facteur de développement ; » (Langue, culture immatérielle)
« Conscient… du fait que la culture constitue pour nos peuples le plus sûr moyen de promouvoir une voie propre à l’Afrique vers le développement technologique, et la réponse la plus efficace aux défis de la mondialisation » NTIC
i) « Considérant que le processus de mondialisation facilité par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication constitue à la fois un défi aux identités culturelles et à la diversité culturelle et nécessite une mobilisation universelle en faveur du dialogue entre les civilisations »promouvoir dans chaque pays la vulgarisation de la science et de la technologie, y compris les systèmes traditionnels de savoirs, condition d’une meilleure compréhension et préservation du patrimoine culturel et naturel » art 4 d) affirmation du principe du « renforcement de la place de la science et de la technologie, y compris les systèmes endogènes de connaissance, dans la vie des peuples africains en incluant les langues africaines » (langues)
[2] g) Intégrer les objectifs culturels aux stratégies de développement (géopolitique culturelle)
Art 8 « L’expérience des décennies précédentes recommande de procéder à un renouvellement des approches nationales et régionales en matière de politique culturelle. »
Art 14 : les acteurs culturels « Les sages et les leaders traditionnels sont des acteurs culturels à part entière. Leur rôle et leur importance méritent une reconnaissance officielle de sorte à les intégrer dans les mécanismes modernes de résolution des conflits et dans les systèmes de dialogue interculturel. »
[3] TITRE VIII Afrique et diaspora africaine : Art 33 L’Union africaine devra prendre les mesures nécessaires en vue de créer des institutions ou « Maisons de l’Afrique » dans les pays où il existe une importante diaspora africaine et ailleurs afin de : a) promouvoir une prise de conscience positive de l’Afrique ; b) promouvoir les positions et les perspectives africaines ; c) soutenir la Diaspora africaine dans ses efforts visant à nouer des relations avec ses communautés et ses gouvernements en Afrique et dans le reste du monde. (Diaspora)
[4] Plus de 50% moins de 25 ans
[5] Mémoire d’Afrique
[1] Manifeste du cinquantenaire, &13 : « nous avons puisé dans les cultures d’occident et d’orient. Nous offrons à notre tour, la possibilité à tous les peuples, de puiser dans les nôtres. Il y aurait tout à gagner pour le développement humain, que les cultures traditionnelles, les sciences, les arts, les spiritualités, la littérature soient valorisées dans la diplomatie des états. » (Géopolitique culturelle)
[2] &25 « Nous considérons la solidarité de la diaspora historique et récente comme un des ferments de la politique de développement endogène de l’Afrique. Elle représente aujourd’hui la sixième région du continent. Le poids de son apport, notamment financier, est incontournable pour le développement de l’Afrique. » (Diaspora)
[3] &27 « … la poursuite de l’amélioration de la qualité de vie est défi central. En ce sens, il faut placer au premier plan, la santé et la sauvegarde de l’environnement. Notre apport respectueux à la nature, notre patrimoine culturel, notre sens communautaire constituent des richesses exceptionnelles à préserver… » (L’Afrique écologique)
[4] &28 « Les langues africaines constituent le socle du patrimoine humain de l’Afrique. Nous voulons qu’elles soient systématiquement inscrites dans les programmes scolaires et enseignées dans tous les cycles scolaires et qu’elles servent dans les technologies de l’information et de la communication. De leur appropriation par les africains dépend le rayonnement de l’Afrique dans le monde. » (Langues, technologie, EPAD ?)
[5] « Convaincus que l’unité de l’Afrique trouve son fondement d’abord et surtout dans son histoire » (fondements historiques de la pensée africaine)
« qu’il est impérieux de procéder à l’inventaire systémique, du patrimoine culturel matériel et immatériel, notamment dans les domaines de l’histoire et des traditions, des savoirs et savoir faire, des arts et de l’artisanat en vue de le préserver et de le promouvoir » (Devoir d’inventaire) Titre 1 art 3 d) préserver et promouvoir le patrimoine culturel africain à travers la conservation , la restitution et la réhabilitation » (Patrimoine immatériel, inventaire)
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